Le Génocide de
1972, effroyable réalité galvaudée pour des raisons politiques
Ambassadeur Tharcisse
Ntakibirora
Toronto, 3 mai 2014
D’emblée, je remercie très
sincèrement AC GENOCIDE CANADA, pour avoir organisé cette conférence pour
commémorer le 42ème anniversaire du génocide de 1972.
C’est d’autant plus apprécié
qu’en ce moment précis, la Ville de Montréal abrite une autre conférence
commémorative organisée par un groupe appelé Collectif de Survivants & Victimes du génocide Hutu avant et après
1972, qui passe sous silence les dizaines de milliers de victimes Tutsi massacrées
par des hordes de tueurs Hutu et Mayi-Mayi Mulele à partir de la nuit du 29-30
avril 1972, pour la simple raison qu’ils étaient nés Tutsi. Les négationnistes
réunis à Montréal sont armés d’œillères pour ne commémorer que les victimes
Hutu. En effet, les organisateurs de
cette conférence sélective affichent sur leur site internet l’existence de
« plan d’extermination des Hutu qui
était en action en 1962, 65,69,72,88,91,93 et même 1995 à l’université du
Burundi avec les massacres d’étudiants Hutu par d’autres étudiants
Tutsi. » (1)
Voici un exemple vivant du
galvaudage du génocide.
Galvauder : Compromettre quelque chose, le déshonorer en en faisant mauvais usage.
Le 28 avril 2014 à 10 heures (heure de Jérusalem),
le monde juif a pris deux minutes pour rendre hommage aux 6 millions de
victimes de l’Holocauste. C’est un
rituel annuel : des sirènes retentissent, tout s’arrête pour deux minutes
de recueillement et de souvenir. Le 29 avril, nous devrions en faire de même en
souvenir des Tutsi fauchés par l’impitoyable série de génocides et des milliers
de victimes collatéraux Hutu cruellement emportées dans le cadre des
répressions sauvages qui ont suivi les génocides dirigées contre les Tutsi. Comme
l’a si bien dit le grand François Marie Arouet (1694–1778), dit Voltaire dans Œdipe
(1785), “On doit des égards aux vivants;
on ne doit aux morts que la vérité”. We owe respect to the
living; to the dead we owe only truth.
C’est le titre de la conférence
d’aujourd’hui. Le respecté Mushingantahe
Zénon Nicayenzi vient de vous brosser un tableau chronologique circonstancié de
ce qu’on appelle pudiquement les événements de 1972. Il a
passé en revue l’environnement interne et externe ayant fait le lit des
massacres, le film des événements, et la gestion chaotique du drame. Permettez-moi à mon tour de vous ramener aux
arcanes de l’histoire pour vous montrer comment on a galvaudé ces tristes
réalités et comment on les a exploité effrontément pour des besoins politiques.
1.
« Le
Livre Blanc sur les événements d’avril 1972 (30 mai 1972) :
La cassure de 1972 a pris racine dans l’histoire du Burundi. Rarement des éruptions de violence ou
phénomènes sociaux atypiques se sont soldés par un manque aussi criant de
ressorts pour les résoudre. 1972 a mis à nu la conjonction de plusieurs
manquements graves ayant conduit à une totale mauvaise gestion sur les plans
militaire, médiatique, politique, judiciaire et diplomatique.
-
Sur le plan militaire : au départ, on arrête les gens
qui étaient déjà fichés à la Sûreté nationale.
Leur arrestation ne soulève aucune objection. A mesure que les massacres perpétrés à
l’intérieur du pays s’amplifient cependant, le ramassage des suspects ratisse
large. Dans la tourmente, de nombreux innocents, Hutu et Tutsi y ont laissé la
peau. Tard en mai 1972, un hélicoptère
de l’armée fait des victimes au-delà de la frontière, en territoire tanzanien.
Pas de résolution appropriée mais des réparations monétaires ultérieures.
-
sur le plan médiatique: Flash
Infor, le seul quotidien ronéotypé est en panne. La radiodiffusion
nationale, au lieu de rasséréner surchauffe les esprits en revenant jour après
jour sur un dangereux échange au vitriol avec Radio Rwanda. Les éditoriaux de
François Maceri, de très grande qualité certes, manquent la cible de la paix et
cultivent la psychose de la guerre.
-
Sur le plan politique : Le cercle autour de Micombero
observe un silence de plomb sur la mort du Roi Ntare V, offre des mensonges
grossiers sur les raisons de la crise, et corrobore l’absence d’autorité. Pas de mission d’explication vers les pays
voisins, rien… silence radio. Certes, des tournées de pacifications seront
envoyées à travers le pays, mais les autorités ont mis du temps à les mettre en
route. Le pouvoir se contenta de publier
le 30 mai 1972 un ``Livre Blanc sur les
événements d’avril 1972 », propre à la consommation intérieure, alors
que les boulets rouges fusaient aussi de l’extérieur. Le Vatican et les
capitales occidentales s’étaient focalisés sur la mauvaise gestion de la crise
et non sur les origines de cette dernière. Bujumbura traita leurs conclusions
avec un certain dédain, sans plus.
-
Sur le plan judiciaire : malgré les indices recueillis
lors des perquisitions, le système judiciaire a manqué le coche en ne
traduisant pas en justice les ténors de l’idéologie du génocide. Au lieu de les passer au fil blanc sans
jugement, les auteurs et co-auteurs du génocide devaient répondre de leurs
actes devant une saine et impartiale justice.
Leur mort a été perçue comme de vulgaires exécutions extra-judiciaires.
Autant de vies gâchées inutilement et à regretter. Nous avons manqué l’occasion
rêvée d’établir les responsabilités individuelles, et plus le temps passe, plus
la mort dérobe les responsables et
diminue les chances d’avoir de solides et crédibles explications.
-
Sur le plan diplomatique : Le Burundi s’est recroquevillé,
se retranchant derrière la sacro-sainte rengaine du ``Tout le monde sait que
nous exerçons nos droits de légitime défense``.
La question est portée aux Nations Unies par les supporters de la cause
Hutu. En Octobre 1972, le ministre des
affaires étrangères Arthémon Simbananiye s’adresse enfin aux Nations. Il
intervient dans la foulée d’une déclaration incendiaire faite sur la tribune
des nations par le chef de la diplomatie rwandaise M. A. Munyaneza, accusant le
Burundi d’avoir massacré tout Hutu, jusqu’au fœtus. Le ministre Simbananiye parvient à prouver
qu’il n’existait aucune preuve du caractère organisé ou commandité par l’Etat
central des massacres. Cette belle action n’a jamais été prolongée par une
résolution. Des années se sont écoulées,
scandées par des accusations non réfutées.
2. Rapport
du Rapporteur Spécial Nicodème Ruhashyankiko [1978]
(2) :
Par sa résolution 1420
(XLVI) du 6 Juin 1969, le Conseil Economique et Social de l’ONU avait approuvé
la décision de sa Sous-Commission pour la prévention de la discrimination et de
la protection des minorités (connu désormais sous l’appellation de
Sous-Commission sur la Promotion et la Protection des droits de la Personne), consignée dans sa résolution 8 (XX) d’entreprendre une
étude sur la question de la prévention et de la répression du crime de génocide.
Le Conseil a donné autorisation à la Sous-Commission de recruter un Rapporteur
Spécial pour procéder à cette étude. Par
sa résolution 1 (XXIV) du 18 août 1971, Mr.
Nicodème Ruhashyankiko, ressortissant rwandais qui était membre de cette
Sous-Commission, a été nommé Rapporteur Spécial et il reçut les moyens
financiers appropriés.
Il avait comme mandat d’explorer
les voies et moyens d’appliquer la Convention de Genève de 1948 sur la
Prévention et la Répression du Crime de génocide. Son Rapport Spécial (186 pages) a été déposé
le 4 juillet 1978.
Cet
important document explore tous les aspects du génocide, comme la destruction
d’un groupe ethnique, national, racial, religieux etc…y compris les actes
constituant le génocide, exemples à l’appui. Il touche aux responsabilités
individuelles et celles des gouvernements (Paragraphes 43-106). Il est très
clair quant aux actes constituant un génocide tels que la propagande en faveur
du génocide ou sa justification (para.117-123). Le rapport explore les relations entre
génocide et crimes de guerre et crimes contre l’humanité (para. 377-418).
Le Rapport ne mentionne le
Burundi que deux fois : l’extension au Ruanda-Urundi par la Belgique de la
Convention de Genève signée en 1952 pendant la période de Tutelle (para. 351) et
que le Burundi fait partie des 57 Etats qui, au 31 décembre 1977, n’étaient pas
partie ou n’avaient pas encore ratifié la Convention de Genève sur la
prévention et la répression du crime de génocide (para 553).
La catastrophe d’avril-mai
1972 s’est produite durant le mandat de Mr. Ruhashyankiko. Ce dernier ne pouvait pas rester ignorant de
la virulence de la guerre médiatique et diplomatique que le Burundi et le
Rwanda se sont livrés, ni les multiples publications de valeur inégale mais
tout aussi tonitruantes les unes que les autres sur le génocide de 1972. De même, les massacres de 1973 des Tutsi par
les Hutu au Rwanda, et la seconde vague de réfugiés Tutsi qui ont pris refuge
au Burundi, aucune trace dans le Rapport Ruhashyankiko!
Pour un Rapporteur
indépendant, l’occasion de souligner le risque inévitable de réédition de tout
génocide resté impuni a été manquée. L’interrelation entre les violences au
Rwanda et au Burundi n’a pas été consignée, ni les modèles de prévention
abordés.
Que s’est-il
passé ? Je ne sais pas. Parmi ceux
qui savaient, nombreux sont morts, les autres se protègent et se tiennent coi
en attendant leur propre décès. Mais je
peux émettre des hypothèses :
a) Pouvait-il rapporter les événements d’avril-mai 1972 au
Burundi et les qualifier de génocide (des Tutsis ou des Hutus) tout en ignorant
ceux de novembre 1959 et de juin/juillet 1973 au Rwanda?
À la question de savoir pourquoi sa revue des cas de
génocide était partiale et incomplète, (pas de trace du génocide des Tutsi), le Rapporteur répondra qu’il avait voulu
souligner les cas majeurs et laissé de côté les cas indécis pour lesquelles certaines
querelles risquaient de raviver des plaies encore ouvertes….). Indécis pour qui ?
b) Qui avait intérêt à camoufler les événements de
1959, 1972 et 1973? Au Burundi, le
Colonel Jean-Baptiste Bagaza venait de bannir les notions/mentions des ethnies
Hutu/Tutsi du paysage et vocabulaire politiques. Il venait d’élaborer un ambitieux plan de
développement industriel et implantation d’infrastructures stratégiques dans
les provinces habitées majoritairement par des Hutu. Cependant, pour rien au monde il n’aurait
accepté d’endosser la responsabilité de la mauvaise gouvernance sous le régime
de son prédécesseur Michel Micombero. Au Rwanda du Général-Major Juvénal
Habyarimana qui tentait de redorer le blason de son pays, la mention des
ethnies restait obligatoire sur les cartes d’identité nationale et la
discrimination des Tutsi suivant le plan de la « révolution sociale de
1959 » se poursuivait. Il n’aurait
pas accepté que les massacres sélectifs des Tutsi en 1959 et 1973 réapparaissent
sur le radar des Nations et qualifiés comme génocides.
c) Pouvait-on assigner des responsabilités au régime de
Michel Micombero sans en faire de même aux mouvements UBU et Méproba (Belgique)
ayant appelé au massacre des Tutsi, sous l’œil impassible de la Belgique et
l’implication de cette dernière dans la discorde des ethnies Hutu/Tutsi dans
les années 1932/33 ?
d) Pouvait-il préciser qu’il s’agissait d’un génocide des
Tutsi par des rebelles Hutu alors que le gouvernement américain avait tenu à
accréditer une révolte/coup d’état Hutu pour camoufler la collusion des
missionnaires américains, danois, suédois et les insurgés ? Washington
n’aurait jamais accepté de se retrouver dans l’œil du cyclone. Le monde aurait
découvert d’embarrassantes révélations comment les américains s’étaient
davantage inquiété de la répression des rebelles criminels que de compatir sur
le sort des victimes du génocide.
Voilà
le galvaudage initial du génocide des Tutsis pour des raisons politiques.
Suite à des pressions
politiques, le Rapporteur Spécial Ruhashyankiko a été forcé d’effacer de son
rapport toute mention du génocide contre les Arméniens sous l’Empire Ottoman
durant la Première Guerre Mondiale. Ceci a soulevé un tollé généralisé, et une opposition de la Turquie appuyée
par le Bloc soviétique. En 1983, la
Commission a nommé Benjamin Whitaker, un citoyen britannique, pour apporter les
corrections nécessaires.
Toutefois, le Rapport
mentionne l’appui du Rwanda à la recommandation de créer un Tribunal
international pour juger des crimes de génocide et la volonté de ce
gouvernement d’insérer des dispositions appropriés dans son code pénal alors en
révision.
3.
Rapport Benjamin Whitaker [1985] (3) :
Deux
ans plus tard, Benjamin Whitaker a présenté son Rapport le 4 juillet 1985. Contrairement à Nicodème Ruhashyankiko, son
rapport conclut que les massacres des Arméniens constituent bel et bien un
génocide. Cependant, son rapport a
suscité davantage de controverses du fait qu’au lieu de se cantonner à sa
mission, M. Whitaker s’aventura à qualifier de génocides des événements passés
sans la moindre argumentation.
Le
paragraphe 24 de son rapport E/CN.4/Sub.2/1985/6 page 12 reconnaît, parmi
d'autres génocides celui des Arméniens, et débute comme suit :
"Arnold Toynbee a déclaré qu'en
matière de génocide, le XXème siècle se distinguait par le fait que ce crime
est commis de sang-froid sur un ordre donné délibérément par les détenteurs
d'un pouvoir politique despotique, et que ses auteurs emploient toutes les
ressources de la technologie et de l'organisation actuelles pour exécuter
complètement et systématiquement leurs plans meurtriers". L'aberration
nazie n'est malheureusement pas le seul cas de génocide au XXème siècle. On
peut rappeler aussi le massacre des Hereros en 1904 par les Allemands, le
massacres des Arméniens par les Ottomans, en 1914-1916, le pogrom ukrainien de
1919 contre les Juifs, le massacre des Hutus par les Tutsis au Burundi en 1965
et en 1972, le massacre au Paraguay des Indiens Aché avant 1974, le massacre
auquel les Khmers rouges se sont livrés au Kampuchea entre 1975 et 1978, et
actuellement le massacre des Baha'is par les Iraniens".
Voilà
la source du credo des panhutistes à propos du ``génocide des Hutu``.
Certains
milieux Hutu invoquent le rapport Whitaker comme preuve du génocide cyclique
des Hutu par les Tutsi. Mais B. Whitaker est muet quant aux origines de ce
prétendu génocide, ni sur ses auteurs.
Du vrai génocide des Tutsi silence radio. En 1972, les faits avérés
démontrent qu’il y a bel et bien eu génocide des Tutsi, suivi par une
répression sauvage que Wikipedia qualifie de « mass killings of Hutus by
the Tutsi-dominated army». Tous les observateurs impartiaux savent que seule la
faiblesse du leadership politique d’alors a empêché la répression de l’un et de
l’autre. Il fallait juger les auteurs du génocide et passer en cours martiaux
les militaires coupables des exécutions extra-judiciaires.
Le
rapport Whitaker coïncide avec la sortie du rapport d’Amnesty International ``Selective genocide in Burundi`` qui
venait d’être traduit en plusieurs langues.
Entretemps, le ``Livre Blanc`` en
français n’était même pas traduit en kirundi ou en anglais. En conséquence, des millions de Hutu et de
Tutsi ont avalé la couleuvre du double
génocide et du besoin de pardon mutuel.
Enfin,
le Rapport Whitaker n’a rien dit sur le génocide des Palestiniens par Israël,
alors que les massacres de Sabra et Chatila perpétrés du 16 au 18 septembre 1982,
étaient de plus fraîche mémoire. M. Whitaker ignora les conclusions des
Commissions d’enquête Kahane et McBride qui avaient conclu à la responsabilité
des phalangistes d’exécution et celle des autorités israéliennes.
Tout
en soulignant que les leçons de l’histoire étaient indispensables pour
maintenir la mémoire universelle en alerte, et pouvaient contribuer à freiner
des dérives similaires de cet odieux crime,
les membres de la Commission ont souligné qu’il aurait fallu traiter
exclusivement des voies et moyens de prévenir de futurs génocides au lieu de
ramener des faits passés qui étaient difficiles voire impossible
d’investiguer. Saluant sa contribution
pour le devoir de mémoire, les membres de la commission ont remercié M.
Whitaker pour ses efforts. Ils ont cependant souligné que malgré la
documentation des tribunaux militaires ottomans, des rapports des témoins ainsi
que des archives officielles, il restait que le génocide des Arméniens était
insuffisamment documenté et que certains éléments de preuve semblaient avoir
été forgés.
Il
n’y a même pas eu unanimité pour accepter le Rapport. Finalement, par un vote de 15-4, la Sous-Commission pour la prévention de la
discrimination et de la protection des minorités a décidé de prendre note du
rapport et de remercier M. Whitaker pour ses efforts.
Ce
rapport Whitaker a été déposé pour discussion en Troisième Commission de
l’Assemblée Générale de l’ONU le 29.8.1985 dans le cadre du point sur la
violation des droits de la personne. J’y
étais délégué.
La
Commission a constaté que M. Whitaker s’est permis de formuler son opinion sur
des allégations de génocide (celui des Hutu par les Tutsi) sans la moindre
documentation. J’établis ici le deuxième
galvaudage du génocide des Tutsi: il y a différence entre génocide, crimes de
guerre et violations massives des droits de la personne.
Questions
d’aujourd’hui : Tant qu’à avancer des opinions, pourquoi l’auteur a-t-il
opté d’épingler 1965 et 1972 et d’omettre 1969 ? Si en 2014 il lui était demandé de mettre à
jour ses analyses, omettrait-il les événements de 1988, 1991 et 1993 ?
S’opposerait-il à la conclusion du rapport S/1996/682 du 22 août 1996 qui conclue à un
génocide des Tutsi soi-disant pour venger l’assassinat du Président Melchior
Ndadaye et le rôle de certains des dirigeants du Parti Frodebu ?
De
la valeur juridique des documents de l’ONU, parlons-en !
Vous
avez d’une part le Rapport Whitaker commandité par une commission du Conseil
économique et social et le Rapport S/1996/682 commandité par le Conseil de
Sécurité par sa résolution 1012/95. D’un
côté, nous avons à faire à une digression peu fondée faite en marge de
l’analyse d’une autre question, de l’autre un travail de recherche ardue
effectué par 5 juristes impartiaux, expérimentés et internationalement
reconnus. Ces experts viennent de
Madagascar, Maroc, Turquie, Venezuela et Canada. Ils n’ont aucune affinité avec les parties
aux prises au Burundi. Alors que M. Whitaker n’aura accumulé tout au plus que
quelques jours au Burundi, les membres de la commission d’enquête judiciaire
ont séjourné au pays la première fois du 25 octobre au 20 décembre1995, et la
seconde fois du 7 janvier au 22 juillet 1996.
Ils ont mené une enquête judiciaire approfondie et ont conclu qu’un génocide avait été commis
par le FRODEBU contre les Tutsi.
M.
Benjamin Whitaker paraît avoir été fortement influencé par des professeurs
d’université et historiens comme René Lemarchand et Filip Rentjens, autres
spécialistes de l’histoire du Burundi teintés d’un flagrant parti pris en
faveur des Hutu. Ces historiens ont
engagé leur responsabilité envers les personnes concernées lorsque, par
dénaturation ou falsification, ils ont présenté comme véridiques des
allégations manifestement erronées. Ils
manquent à leur devoir d’objectivité et de prudence, en s’exprimant sans nuance
sur un sujet aussi sensible.
MM.
Whitaker, Lemarchand et Rentjens causent ainsi, peut-être sans le vouloir, un
préjudice grave et seront tenus de réparer.
Ils se rangent parmi les forces négatives, car leurs écrits font
l’apologie du génocide, sans discernement.
Ils génèrent une atteinte très grave au souvenir fidèle, au respect et à
la compassion dus aux survivants et à leurs familles. Dans cette grave matière, on pèche par action
et par omission. Troisième galvaudage du génocide.
Dès
lors, quelle autorité accorder au reste du rapport Whitaker ?
Il
faut souligner que ses recommandations pour la création d’un poste de
Haut-Commissaire aux Droits de la personne et d’une Cour Pénale Internationale
ont été mises en œuvre.
Les
querelles entre tenants des génocides historiques et ceux qui s’accrochent à
des génocides anecdotisés n’auront d’autres limites que le lancement d’enquêtes
indépendantes et la volonté des gouvernements à assurer la justice et les
réparations appropriées.
Le salaire de la honte, le remords de
l’inaction et le prix de la trahison.
Le
génocide est une sale réalité, peu importe qui y pose son regard. Les historiens J.P Chrétien et J.F Dupaquier
dans « Burundi 1972 : Au bord
des génocides » ont bien vérifié l’authenticité du document d’indoctrination
en kirundi qui appelait au génocide contre les Tutsi en 1972 et ils ont aussi
écrit que la mobilisation pour tuer les Tutsi en 1972 s’était faite à travers
tout le pays. (4) Toutes tentatives de
l’escamoter, de le nier ou le galvauder ne font qu’exacerber la haine et le
ressentiment dans le cœur des rescapés, et de leur progéniture. Nous n’avons
pas le droit de prolonger l’angoisse de jeunes générations des Hutu et de Tutsi
qui aspirent à connaître la vérité. Cessons de multiplier les génocides au
Burundi, n’en rajoutons pas alors que ceux qui ont véritablement endeuillé
notre patrie n’ont toujours pas été réprimés. Réclamons la Commission Vérité et
Réconciliation avec un volet Justice afin que les auteurs soient
confondus et que justice soit faite. Même
Wikipédia offre des pistes pour les 2 génocides qu’il recense (5). Il en
indique les auteurs mieux que nos Rapporteurs plus Spécieux que Spéciaux.
Le
crime de génocide est imprescriptible et inamnistiable. Ce que Théo Van Boven
disait par rapport au génocide arménien est valable pour le Burundi : “ L’Assemblée générale de l’ONU, -ou
le Conseil de sécurité (C’est moi qui
ajoute)- en vertu de l’article 96 de la Charte, peut demander à la Cour
internationale de Justice un avis consultatif sur l’application rétroactive de
la Convention sur la répression du génocide et ses conséquences légales dans le
domaine des réparations dues aux victimes du génocide et de leurs
ayants-droits.”(6)
Face
à la lente reconnaissance du génocide des Tutsi, maintes fois entravée, on
parle souvent de conspiration internationale. Peut-être. Mais le flanc a été
tendu par nous et par nos dirigeants. UBUGABO
BURIHABWA. Toujours, et en tous lieux. En
1985, le Rapport Whitaker aurait dû être combattu sur base de son caractère
biaisé. Le paragraphe incendiaire aurait été remis en question, puis retiré du
rapport. En 1996, le Président Buyoya
aurait dû exiger que l’ONU fasse suite aux conclusions tirées par son propre
rapport d'enquête, au lieu de le mettre sous le boisseau et poursuivre la
politique de l’autruche. Malgré ces
trahisons, la vérité finira par triompher. Le respect à tous les martyrs de
l’intégrisme ethnique au Burundi nous intime de rompre le silence. Nous savons
aussi bien écrire et devons restituer la vérité, par amour, par respect, par
pitié et pour restaurer un Etat de droit.
Je
ne porte aucune sympathie envers l’ancien Président François Mitterrand. J’ai laissé ma naïve croyance en l’amitié
franco-burundaise à La Beaule, et mon sentiment s’est renforcé au cours des
années 1993-94, lorsque la France socialiste a hébergé une cohorte d’auteurs ou
co-auteurs du génocide de 1993, est accourue pour remettre en selle le Frodebu
génocidaire, avant de protéger la retraite des Interahamwe fuyant le juste
courroux de l’APR du FPR en mai-juin 1994 au Rwanda. Mais quand Mitterrand dit
des mots qui portent, il force mon admiration.
En janvier
1984, lors d'une allocution prononcée à Vienne (Isère) à l'occasion du Noël
arménien, le Président Mitterrand, se référant au génocide de 1915 avait dit: "il n'est pas possible d'effacer les
traces du génocide qui vous a frappés. Cela doit être inscrit dans la mémoire
des hommes et ce sacrifice doit servir d'enseignement aux jeunes en même temps
que de volonté de survivre afin que l'on sache, à travers le temps, que ce
peuple n'appartient pas au passé, qu'il est bien du présent et qu'il a un
avenir." Ce constat est
valable pour le génocide des Tutsi du Burundi.
De
même que je ne prêcherais jamais d’administrer à tour de bras pardon sans
repentir, je ne conseillerais jamais d’édicter une quelconque amnistie
provisoire ou définitive en l’absence d’un règlement judiciaire. Ntega
Marangara devrait nous avoir appris bien des choses. Dès lors, il faut camper la lutte
anti-génocide sur le terrain judiciaire, restaurer la dignité des victimes et
redonner de l’espoir aux rescapés du génocide.
Il faut entretenir vivante la flamme de la dignité, écourter les
discours unitaristes et préparer la défense pour le droit inaliénable à la
vie. Nous serons alors en mesure de
pardonner à ceux qui nous ont offensés dès qu’ils exprimeront un repentir
véritable. Face à des pouvoirs hostiles, la lutte contre le génocide doit
rester ferme et tabler sur le long terme.
Je
vous remercie.
_______________________________
2)
Ruhashyankiko Report 1978: "Report to the UN Sub-Commission
on Prevention of Discrimination and Protection of National Minorities: Study of
the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide"
(E/CN.4/Sub. 2/416, 4 July 1978), 186 pages. http://www2.unimc.it/ricerca/istituti/istituto-di-diritto-internazionale/biblioteca/databases/icjd/i/ruhashyankiko.pdf
3) Whitaker
Report 1985: "Revised and updated report on the
question of the prevention and punishment of the crime of genocide" (46
pages) (E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 July 1985). http://www.preventgenocide.org/prevent/UNdocs/whitaker/
4) Jean
Pierre Chrétien, Jean François Dupaquier: “Burundi 1972: Au bord des
génocides”, Paris,
Karthala, 2007. pp 110-117.
5) Burundian Genocide: http://en.wikipedia.org/wiki/Burundi_genocide
Since
Burundi's independence in 1962, there have been two events called genocides in the country. The 1972 mass killings of Hutus by the
Tutsi-dominated army, and the 1994 mass killings of Tutsis by the Hutu populace
are both described as genocide in the final report of the International
Commission of Inquiry for Burundi presented to the United Nations Security
Council in 2002.
6)
Théo van Boven : “Note concernant la suppression de la référence aux
massacres des arméniens dans l’étude sur la prévention et la répression du
crime de Génocide”, in Tribunal Permanent des Peuples, Le Crime de silence - le Génocide des arméniens, Ed. Champs
Flammarion, Paris 1984, p. 290.
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